Où sont les vieux ?
Bon ok, titre de merde. Mais n’empêche que c’est vrai. Il y a encore 10 ans, j’avais tout un tas de personnes âgées dans mon entourage immédiat. Grands-parents, voisins, amis de mes parents ou simples connaissances. Pour moi c’était quelque chose de normal. De temps en temps, j’allais remettre sur son fauteuil roulant la dame du rez-de-chaussée qui avait glissé, ou bien je discutais dans la rue avec la presque centenaire qui promenait sa chienne Pénélope (et dont les chiennes précédentes avaient toutes porté le même nom), ou encore je dînais au restaurant avec mes parents et une de leurs vieilles amies qui m’a toujours autant gâtée que mes propres grands-parents. Aujourd’hui, seule une grand-mère est encore en vie. Malgré son âge, l’énergie syndicaliste n’a de cesse de la maintenir dans une forme époustouflante... Mais les autres sont partis en un laps de temps finalement très court.
Et il y a l’épreuve par laquelle tout le monde passe au moins une fois dans sa vie : vider la maison d’un proche décédé. Je me revois encore dans la maison de ma grand-mère, à trier les objets qui m’étaient – et surtout *lui* étaient – familiers. "On garde, on donne ou on jette ?" Et là, t’as envie de dire "On garde, bien sûr !", sauf que tu ne peux pas tout garder… Les biens se retrouvent éparpillés aux quatre vents, tu te retrouves à lire des vieilles cartes postales conservées dans une boîte à chaussure, des photos, des documents, des pans de vie que tu ignorais et dont tu essayes de reconstituer le puzzle. Car oui, c’est seulement une fois qu’il n’y a plus personne pour apporter de réponses que toutes les questions se posent. Sur ce qui n’est parfois qu’un détail, et pas forcément le genre d’information capitale dans ta vie… mais des choses qui t’auraient aidé à comprendre telle ou telle réaction, tel ou tel sourire ou telle ou telle ombre.
Madeleine, elle aimait bien râler pour tout et n’importe quoi. Je pense que ça a dû sauter une génération et s’inscrire directement dans mes gênes. On dansait la capucine les soirs d’été au bord de la Garonne et là, bizarrement, elle ne râlait plus. Même que quelquefois, y’avait d’autres vieux qui venaient danser avec nous…
Louis s’achetait toujours un gâteau chez le pâtissier quand il allait faire les courses et le dévorait devant une bonne bière au café du coin. Et ça faisait toujours râler Madeleine.
Jean adorait réciter les fables de La Fontaine à ses petits enfants et raconter des histoires qui font peur quand ils refusaient de manger à table. Genre "Si tu manges pas, tu vas mourir". Quel déconneur, ce Jean !
Renée avait une écriture d’écolière. Et chaque mot était porteur de bonté.
Odette avait un chat qu’elle aimait profondément. Que ses neveux ont foutu dehors sitôt qu’Odette est morte. On se demande comment c’est possible d’être aussi gentil et d’avoir des salopards comme héritiers. La vie est injuste…
Lucie a élevé des enfants qui n’étaient pas les siens. A intégré une famille qui n’était pas la sienne. Se faisait appeler "Mamy" par tout le monde. Et c’était loin d’être injurieux !
Georges avait une trachéotomie, alors il ne parlait pas beaucoup. Mais ses yeux…
Alice était si maigre qu’on aurait presque voulu l’entourer de coton pour ne pas qu’elle se blesse. C’était la dignité qui la faisait tenir debout, et je crois bien que ça la rendait belle…
Et il y avait aussi Georgette, Bernard, Jacqueline, le Général, Louise et les autres… Des noms qui condensent un passé tantôt obscur tantôt lumineux, et que je n’ai pas oubliés.
Aujourd'hui que tous ces gens-là sont partis, je réalise que les prochains sur la liste appartiennent à la génération de mes parents. Si la vie fait bien les choses – et à choisir j’aime autant que ce soit le cas – je sais que je repasserai encore par là, mais j’espère que je me poserai moins de questions.
Et juste pour vous rassurer sur ma santé mentale, non je ne traverse pas une phase de dépression. Je poste juste quand ça sort et après je reprends une vie normale…