Retour vers le passé
Salvatii copii. Sauvez les enfants.
C'est le mot qu'un garçonnet roumain d'une dizaine d'années m'a
donné lorsque j'ai quitté l'orphelinat d'un village des Carpates à la
fin de l'été 99. 10 années après la chute de Ceaucescu, le pays
commençait à peine à renaître de ses cendres. Je pensais savoir ce qui
m'attendait en arrivant à Bucarest avec d'autres jeunes de mon âge. Je
croyais m'être préparée, et on avait été longuement briefés avant de
partir. Mais "savoir" n'a aucun sens tant qu'on a pas vu. Tant qu'on a
pas vu des enfants, parfois âgés de 3 ou 4 ans, errer dans une gare en
haillons avec à la main un sac en plastique rempli de solvant qu'ils
sniffent à longueur de journée. Tant qu'on a pas vu un adolescent
essayer de vous piquer vos chaussures pendant que vous somnolez dans le
train. Tant qu'on a pas vu un petit garçon prostré dans son lit brûlant
de fièvre et le visage gonflé à cause d'un abcès à la gencive que
l'infirmière de l'orphelinat ne pouvait même pas soigner faute de
médicaments.
Dans l'orphelinat où j'étais, les enfants étaient
scolarisés et mangeaient à leur faim, et c'était déjà énorme en
comparaison de ceux qui traînaient dans les rues de la capitale. Mais
malgré les quelques "avantages" dont ils bénéficiaient, ils vivaient
dans des locaux crasseux, le chauffage ne marchait pas (et en Roumanie,
particulièrement dans les Carpates, les hivers sont longs et
rigoureux), ils étaient sales et mal habillés, et ils ne recevaient
aucune affection de la part du personnel encadrant. On était là pour
faire de l'animation, mais on avait omis un détail: quel que soit leur
âge (entre 6 et 18 ans) ils ne savaient pas jouer. On n'avait pas
compris que jouer, ça s'apprend.
Comment est-ce possible d'avoir
pu laisser s'installer au pouvoir, dans les pays de l'Est et ailleurs,
des hommes qui ont ruiné, dévasté et asservi leur propre pays? Alors
qu'il existe des autorités internationales influentes, pourquoi
certains pays étaient - ou sont toujours - totalement inacessibles? En
prenant le pouvoir, Ceaucescu a bien pris soin de réduire à néant les 3
piliers de la société roumaine, à savoir sa culture, son histoire et sa
religion. De nombreuses églises ont été abattues, les manuels scolaires
ont été réécrits et tous les lieux culturels ont été supprimés. En
imposant une politique démographique démesurée à un peuple vivant déjà
dans la précarité, il a mis des milliers d'enfants à la rue et mis au
rebut vieillards, malades et handicapés.
Les quelques semaines
que j'ai passé dans ce pays ont été probablement les plus intenses de
ma vie, dans le pire comme dans le meilleur. Les paysages y sont de
toute beauté, et la proximité avec les animaux sauvages est tout
simplement incroyable. Quelle sensation ça a été de voir un ours brun
se promener comme si de rien était en plein milieu de notre campement
en bordure de forêt, ou bien d'entendre les loups se répondre le soir!
L'année
prochaine, la Roumanie entrera dans l'Union Européenne. Une aubaine
pour ce pays qui a définitivement besoin de se reconstruire et de
bénéficier des aides de leurs voisins, tout comme c'était le cas pour
le Portugal à une époque ou pour la Pologne aujourd'hui. Les roumains
ont toujours été européens, de par leur langue latine, leur religion et
leur culture.
Si le passé est difficile à réparer (et il est
évident qu'une génération ne suffira pas), c'est un avenir souriant qui
attend la Roumanie, à condition qu'on l'aide à préserver ce qu'elle a
de plus beau tout en attirant chez elle ceux qui seront sensibles à son
histoire et à ses merveilles.
Et ce soir, quand TF1 diffuse "les 60 images qui ont marqué les français", moi je me souviens de celles-ci:
Un dortoir
Une conduite d'eau qui fait office de douche
La cour de l'orphelinat
Le garçon qui a la tête bandée a reçu des coups de marteau lors d'une bagarre avec un autre enfant