Liberté
Il y a des moments où je me demande comment j'ai réussi à m'éduquer toute seule, à l'encontre des idées de mes parents.
J'aime mes parents, c'est pas le problèmes. Mais quelquefois, ils sont capables de sortir des horreurs absolues. Surtout mon père, qui est un champion dans ce domaine.
La dernière horreur concerne la libération d'Ingrid Bétancourt. Certes, l'événement est surmédiatisé. Certes, elle semble faire "bonne figure", contrôler ses émotions et intellectualiser - voire mystifier - son expérience devant les médias.
N'empêche qu'elle a dû subir les pires ignominies pendant ses 6 années de captivité et de vie dans la jungle, et j'admire vraiment la dignité, la droiture et l'esprit dont elle fait preuve lorsqu'elle s'adresse à la presse.
La réaction de mon père, c'est qu'Ingrid Bétancourt a délibérément pris des risques en faisant campagne en Colombie, et qu'elle s'est "mise dans la merde toute seule". Par conséquent, il ne comprend pas que le gouvernement français ait tout mis en œuvre pour promouvoir et participer à sa libération et, surtout, il considère que l'accueil et l'engouement dont elle bénéficie ne sont pas justifiés. En plus, c'est le comble, elle n'a pas l'air en mauvais état… Pour lui, ça aurait sûrement été plus présentable de la revoir sur une civière.
Si l'on part du principe que c'est de sa faute si elle a été prise en otage, il n'y a aucune raison de rendre hommage aux résistants de 39-45 qui ont pris des risques pour lutter contre l'occupant. Il n'y a aucune raison d'admirer tous ceux qui osent protester contre des gouvernements totalitaires. Il n'y a aucune raison d'encourager la liberté de penser et la démocratie. Il n'y a aucune raison de lever le petit doigt pour changer quoi que ce soit.
Une sœur de mon père a vécu en Ethiopie pendant 20 ans. Elle a vécu et subit les soubresauts politiques et sociaux, les dangers d'être "européenne" dans un pays africain fragile, frappé par la famine et au bord de la guerre civile, où les conflits ethniques ont parfois frôlé la catastrophe humanitaire. C'était son choix de vivre là-bas et de ne pas rentrer en France parce qu'elle aimait profondément ce pays et ses habitants. Mais est-ce qu'il aurait fallut la laisser dans la merde si quelque chose de grave lui était arrivé ? C'est évident que ma famille n'aurait pas trouvé normal que notre gouvernement ne fasse rien pour les ressortissants français.
C'est la même chose pour Ingrid Bétancourt. Elle prônait le changement, s'était engagée dans une politique du danger où sa sécurité n'était pas totalement assurée. Elle a pris le risque d'oser et y a laissé 6 années de sa vie. 6 ans et 5 mois, comme elle l'a elle-même précisé cet après-midi. Dans ce genre de circonstance, compter n'est pas anecdotique.
Sa libération et son retour en France sont une nouvelle dont on ne peut que se réjouir. Les mauvaises langues – comme mon père – parlent sans humanité, avec un détachement émotionnel que je ne comprends pas. Les médias peuvent récupérer ce qu'ils veulent, les politiques aussi. L'essentiel, c'est qu'Ingrind Bétancourt soit retournée à la vie et qu'elle ait été rendue à sa famille. Elle a vécu l'épreuve à laquelle seules les personnes courageuses peuvent se frotter. Elle semble avoir les mots pour exprimer sa joie d'être à nouveau libre mais elle n'a pas encore prononcé ceux pour décrire son calvaire. Il est probable qu'elle le fera un jour à travers un livre. Il faudrait être avare de sentiments pour n'éprouver aucune compassion et ne pas se réjouir individuellement et collectivement de sa renaissance.
Liberté
Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable de neige
J'écris ton nom
Sur les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J'écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J'écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l'écho de mon enfance
J'écris ton nom
Sur tous mes chiffons d'azur
Sur l'étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J'écris ton nom
Sur les champs sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J'écris ton nom
Sur chaque bouffées d'aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J'écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l'orages
Sur la pluie épaisse et fade
J'écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J'écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J'écris ton nom
Sur la lampe qui s'allume
Sur la lampe qui s'éteint
Sur mes raisons réunies
J'écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J'écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J'écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J'écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J'écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attendries
Bien au-dessus du silence
J'écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J'écris ton nom
Sur l'absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J'écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l'espoir sans souvenir
J'écris ton nom
Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Paul Eluard