Les cordonniers sont les plus mal chaussés...
De la même façon qu'ils réconfortent et conseillent leurs patients, on pense qu'ils savent en faire de même avec leur famille.
De la même façon qu'ils savent se rendre disponibles en casant un rendez-vous urgent dans leur emploi du temps déjà chargé, on croit qu'ils savent être présents auprès de leurs proches en toute circonstance.
Parce qu'ils soignent, on les croit incapables d'être malades.
Parce qu'ils écoutent patiemment, on n'imagine pas qu'ils aient besoin eux-mêmes de se confier.
Parce qu'ils gèrent les problèmes des autres, comment pourraient-ils eux-mêmes en avoir ?
Mon médecin de famille avait disparu depuis 6 mois. Remplacée par de jeunes médecins plus ou moins expérimentés (comme celui qui m'a prescrit du Valium pour des impatiences dans les jambes), je me demandais ce qui avait bien pu lui arriver. Je me doutais que c'était grave, elle semblait trop aimer son métier pour claquer la porte sans explication.
En fait, elle était noyée jusqu'au cou dans ses problèmes personnels et a fait une grave dépression nécessitant une hospitalisation de 5 mois. Et la revoilà la semaine dernière, dans son cabinet, les traits marqués par la fatigue mais les yeux un peu plus brillants que la dernière fois que je l'avais vue. Elle remonte la pente, aidée par d'autres médecins du corps et de l'âme, comme elle a si bien su aider ses patients auparavant.
N'empêche, je suis vachement contente de la savoir de retour. Et pas spécialement parce que je galérais à trouver un autre médecin de sa pointure.
Mais il faut que je m'enlève cette image de perfection que j'associe aux professions médicales. J'imagine toujours des personnes parfaites, avec une famille parfaite et un comportement parfait. Des personnes qui ont tout vu, qui ont été témoins de tous les maux, toutes les maladies, toutes les angoisses et toutes les crises existentielles. Des gens qui savent gérer toutes les difficultés, accompagner dans toutes les épreuves et faire preuve de recul et de compréhension. Le fait est que non, ce n'est pas parce qu'on sait comment aider les autres qu'on sait comment s'aider soi-même. La misère du monde – et des autres – n'est pas un entraînement permettant de résoudre ses propres misères.
Je l'espère de retour pour longtemps. Même avec ce nouveau regard que je porte sur elle. Elle avait donc une faille…